La façon dont on répondra à ces différentes questions, à
ces différents défis, déterminera ce que sera la Corée de demain.
Deux points encore me semblent importants.
D'abord le regard sur le passé. Le passé de la Corée est souvent douloureux,
mais les générations précédentes n'ont pas toujours su assumer
certains points noirs de l'histoire. On a préféré jeter un voile pudique
sur certains événements. Ainsi les Coréens ont énormément
souffert sous la colonisation japonaise.
"Le jour où
sera publié un livre sur les collaborateurs, la société coréenne
aura fait preuve d'une grande ouverture."
Mais il existe aussi de nombreuses ambiguïtés à ce sujet: par exemple,
l'attitude d'une partie de la famille royale au début du siècle qui a facilité
l'arrivée des Japonais. Le problème aussi des collaborateurs qui n'ont
jamais été jugés à
l'indépendance et dont certains
ont continué à occuper des fonctions importantes. Cela crée un sentiment
de malaise qui du coup accentue la haine envers le Japon. Le jour où sera publié
un livre sur les collaborateurs, la société coréenne aura fait preuve
d'une grande ouverture.
De même, à propos de la libération de la Péninsule, une étudiante
m'avait dit un jour: "Les résistants coréens étaient sur le point
de chasser les colonisateurs japonais. En larguant une bombe atomique sur Hiroshima,
les Américains nous ont volé notre victoire". Cette phrase est navrante
de la part de quelqu'un de jeune qui fait des études et devrait donc réfléchir.
Car c'est une contrevérité historique. Qu'on le veuille ou non, c'est faux.
Or avec ce genre d'idées, on ne peut pas établir de relations sympathiques
avec les Américains. C'est pourquoi assumer le passé dans son intégralité
-avec ses heures de gloire et ses heures sombres-est un élément de la globalisation,
et permet de mieux construire l'avenir.
"Docilité
politique contre amélioration du niveau de vie."
Cela permet de mieux construire l'avenir aussi pour des raisons de politique intérieure.
Par exemple, l'écrivain Yi Mun-Yol, dans son roman Chungpyon, s'interrogeait:
"Qu'y a-t-il dans le comportement de chaque Sud-Coréen pour que dure si
longtemps le pouvoir des militaires ?" Réponse de beaucoup d'analystes:
"Parce que nous avons échangé notre docilité politique contre
une amélioration de notre niveau de vie". Ce qui pose là aussi un
problème de conscience quant on pense au massacre de Kwangju.
C'est pourquoi je trouve très encourageant que ce soit les jeunes qui aient
mené les manifestations contre les deux anciens Présidents lors de leur
procès. A cette occasion, l'un d'eux m'avait déclaré: "Nous ne
voulons pas recommencer les erreurs de nos parents qui ont accepté les dictatures
du passé sans contester. Nous devons savoir exactement les exactions qu'ont
commis les anciens Présidents et les juger pour cela si nous voulons implanter
durablement la démocratie en Corée" Réaction très encourageante
encore une fois. Evidemment, assumer le passé oblige à se livrer à
une exercice d'autocritique, ce qui n'est jamais facile. La France en sait quelque
chose qui a mis de nombreuses années avant de reconnaître la responsabilité
de l'Etat dans le régime de Vichy, pendant la seconde guerre mondiale, une période
qui n'est pas à la gloire de l'histoire nationale.